Comptes de campagne : "dans les Dumas, je préfère Alexandre !"

Le Sénat a réclamé hier une campagne électorale « propre » à l'occasion de l'examen d'un projet de loi organique sur les dépenses de campagne présidentielle qu'il a totalement remanié.

Le législateur devrait plutôt se préoccuper de garantir à nos concitoyens une campagne propre », a lancé le sénateur PS Gaëtan Gorce, rapporteur du texte. « À quoi cela sert-il d'abaisser les plafonds si ceux-ci ne sont pas respectés, comme plusieurs enquêtes en cours nous le suggèrent fortement », a-t-il ajouté se référant aux dossiers Karachi et Bettencourt.

[AU SÉNAT] Extrait de la séance du 12 janvier 2012

M. Pierre-Yves Collombat : Dans un chapitre de son ouvrage intitulé « Les faux-monnayeurs » – cela donne quand même le ton… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) –, Jacques Robert, sans mentionner alors de nom, évoque clairement, à la page 154, le côté douteux des comptes de campagne de l'élection présidentielle de 1995, parlant d'« une curieuse impression de malaise, pour ne pas dire un sentiment désagréable d'insatisfaction » s'agissant du contrôle de la régularité des élections législatives et présidentielles par le Conseil constitutionnel.

Le nom des candidats concernés sera évoqué publiquement en 2010 lorsque, en marge de l'enquête du juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke sur le volet financier de l'attentat de Karachi, les enquêteurs vont saisir des documents des rapporteurs du Conseil constitutionnel qui recommandaient le rejet pur et simple des comptes de campagne d'Édouard Balladur !

La publication sur Internet de ces documents sensibles ainsi que diverses déclarations publiques de Jacques Robert et Roland Dumas, qui était alors président du Conseil constitutionnel et dont le rôle avait été décisif, permettaient d'établir quelques points on ne peut plus clairement.

Premièrement, le compte d'Édouard Balladur, qui dépassait le plafond des dépenses autorisées et avait été alimenté par un versement en espèces de 10,25 millions de francs – 1,56 million d'euros – d'origine incertaine, aurait dû être rejeté.

Deuxièmement, le compte de Jacques Chirac aurait également dû être rejeté.

Troisièmement, le montant des dépenses fut réajusté avec une dérisoire précision: Édouard Balladur est finalement à 0,25 % du plafond autorisé et Jacques Chirac – écoutez bine, mes chers collègues – à 0,034 %. C'est de l'horlogerie suisse ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Quatrièmement : il est établi que l'adage selon lequel « le Conseil constitutionnel filtre les moucherons et laisse passer les chameaux » est une fois de plus vérifié. (Sourires sur les travées de l'UCR, du groupe socialiste et du groupe CRC.) Jacques Cheminade, qui avait réalisé 0,28 % des voix au premier tour, verra, lui, son compte rejeté pour avoir obtenu un prêt sans intérêt. (Nouveaux sourires.) Privé de remboursement et condamné à restituer l'avance perçue, il se retrouve ruiné.

Mme Nathalie Goulet : Selon que vous serez puissant ou misérable…

M. Pierre-Yves Collombat : Lors de l'émission télévisée Face aux Français, de Guillaume Durand, Roland Dumas fera ce commentaire : « Jacques Cheminade était plutôt maladroit, les autres étaient adroits. » Plus probablement, surtout, avaient-ils des d'amis mieux placés.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur : Dans les Dumas, je préfère Alexandre !

M. Pierre-Yves Collombat : On fait ce que l'on peut !
« Juste avant notre vote, » – rapporte Jacques Robert dans Le Parisien du 1er décembre 2011 – « Roland Dumas a passé une heure à l'Élysée avec Jacques Chirac. Sans doute lui a-t-il dit que la situation était délicate et qu'il avait dû manœuvrer pour faire régulariser les comptes. Mon impression, c'est que Roland Dumas, Jacques Chirac et Édouard Balladur se tenaient à l'époque par la barbichette. Et que nous avons servi de caution à une belle entourloupe. »


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